9 avril 2012

Verdon - Gérer la course à la fréquence cardiaque

S'il y a un domaine où j'ai des certitudes bien arrêtées, c'est la gestion de course.

Les stratégies généralement adoptées, consciemment ou non, peuvent être regroupées en trois catégories :
  • positive split : départ rapide avec ralentissement subi en fin d'épreuve ;
  • equal split : maintenir une vitesse constante ;
  • negative split : démarrer lentement pour pouvoir accélérer et réaliser une seconde moitié de course plus rapide.

Les meilleurs performances sont clairement obtenues en equal split, comme l'ancien et l'actuel record du monde du marathon : 1h01'44 sur le premier semi, 1h01'54 sur le deuxième.

Patrick Makau au Marathon de Berlin 2011

Ce n'est surement pas un hasard, d'ailleurs si on pousse la caricature : qui partirait à 13 km/h et finirait à 17 km/h un 10 km visé en 40 minutes ou démarrerait à 16 km/h pour terminer à 12 km/h avec un objectif marathon à 3h ?

On pourrait objecter que cela n'est pas valable pour des durées plus longues et qu'il y a forcément un ralentissement inévitable dû à la fatigue qui s'installe peu à peu.

Néanmoins, si l'on regarde les temps de passage du record du monde de 24 heures, on reste tout de même proche d'une vitesse constante malgré un positive split, avec 161 km les douze premières heures (13,4 km/h) et 143 km les douze suivantes (11,9 km/h).

Je reste persuadé qu'il est possible d'être parfaitement constant sur une journée, il n'y a pas de raison, le meilleur compromis étant alors un léger negative split qui permettra de se rapprocher au plus près de son optimum : Yiannis Kouros aurait probablement pu faire 305 km ou plus avec une meilleure gestion de son effort.

Cela présente plusieurs avantages par rapport à un positive split :
  • remonter petit à petit le peloton est très bon pour le moral ;
  • courir est un plaisir plutôt qu'une souffrance, les sensations restent agréables tout du long et on évite généralement les coups de bambous ;
  • il est toujours possible d'accélérer un peu plus fort à la fin si on a pêché au préalable par excès de prudence ; l'inverse n'est pas le cas, on paie toujours au prix fort une envolée initiale irraisonnée ;
  • la mobilisation de la filière lipidique est bien meilleure, sans avoir à trop puiser dans les réserves de glycogène en début d'épreuve.

Il y a cependant un inconvénient dans le cas d'une première barrière horaire plus serrée que les autres, ayant pour but d'effectuer une première sélection des participants, qui ne pourrait être passée sans un rythme plus soutenu au début. C'est le cas du Spartathlon qui impose un départ rapide mais pas de l'Ultra Trail du Verdon, qui laisse à ce niveau une bonne marge de manœuvre.

J'ai expérimenté les deux méthodes, notamment lors de mes premières compétitions durant lesquelles j'avais l'habitude de partir à fond et finir comme je le pouvais dans la douleur : points de côtés, contraint à la marche, vomissements, hypoglycémies, ... c'était fort sympathique.

Le négative split semble incomparablement préférable, à moins bien sûr d'avoir une tendance sado-masochiste.

Or, il est stupéfiant de constater que la majorité des traileurs n'adoptent absolument aucune stratégie, si ce n'est partir généralement trop fort portés par l'émulation.

L'analyse de la Restonica Trail 2011, lors de laquelle j'ai maintenu un rythme quasi-constant, est frappante.

J'ai eu les serres-file aux fesses durant les trois premières heures, avant de grignoter petit à petit quelques places. Je pointe en 9h25 à Bocca Alle Porte et finis en 15h35, soit un chrono intermédiaire de 6h10 pour la partie finale :
  • ceux qui sont passés dans le même temps au premier checkpoint ont mis généralement 2 heures de plus pour terminer, voire même 2h50 pour le 90ème ;
  • il faut aller chercher un temps final de 13h30 pour trouver une seconde partie aussi rapide que la mienne, le plus fort ralentissement étant l'apanage du 29ème qui finit en 12h15. 

Une course mal gérée, la Transvésubienne 2008

Cette tendance à partir sur un rythme bien trop élevé est très fréquente et ressort dans la plupart des récits, comme celui-ci très bien documenté concernant l'Ultra Tour du Beaufortain :
  • CP 1, 17 km, 2.032 m de D+ : 3h10, soit une moyenne de 11,8 km/h en équivalent plat (100 m D+ = env. 1 km) ;
  • mi-course,  52 km, 3.910 m de D+ : 9h15, soit 9,8 km/h
  • arrivée, 103 kms, 5.950 m de D+ : 19h15, soit 8,4 km/h.

Est-ce judicieux de partir les premières heures à 12 km/h et 90 % de Fcm pour finir les dix dernières heures à 7,1 km/h de moyenne ? Certainement non ...


Comment gérer alors son allure sur un ultra trail ?

La vitesse n'est pas applicable directement du fait de la succession de montées et descentes. Il semble possible de la pondérer en fonction du dénivelé en montée (vitesse ascensionnelle) et de la technicité en descente mais délicat, les équivalences étant trop nombreuses et ardues à déterminer.

Par exemple, une moyenne de 7 km/h sur le plat ne correspondra pas forcément, selon les qualités de chacun et le terrain, à :
  • 7 km/h en descente: plutôt 8 km/h dans les portions roulantes, 6 km/h sur pente raide avec obstacles, 4 km/h dans les passages vraiment chauds ;
  • 7 km/h en montée, vitesse ascensionnelle incluse : 4 km/h & 400 m/h sur une pente à 10 %, 1 km/h et 500 m/h dans un raidillon à 50 %, ...

Les sensations, elles, sont souvent trompeuses, surtout en compétition : l'adrénaline et l'excitation ont tendance à inonder le cerveau d'endorphines et faire paraitre l'effort beaucoup plus aisé qu'il ne l'est en réalité.

Je me souviens encore d'une telle situation au Trail d'Ollioules. J'ai suivi le mouvement de foule au départ, je me sentais à l'aise, tranquille, autour de 160 bpm (84 % Fcm) pensais-je. Quelle ne fut pas ma surprise en consultant mon cardio : 188 bpm (99 % Fcm) et je ne me suis rendu compte de rien !

D'autant plus qu'en trail, on arrête pas de changer de rythme (montée, descente, plat, relances, ...), comment identifier correctement l'intensité de son effort ? Je n'y arrive pas de manière suffisamment précise, depuis les sensations aux oubliettes ...

Il reste la fréquence cardiaque,  la seule méthode vraiment viable.

Cela impose de bien se connaitre, ce que j'ai fait progressivement en tâtonnant au fil du temps :
  • fréquence moyenne pouvant être tenue selon la durée en compétition ;
  • évolution dans le temps de la fréquence cardiaque corrélée à la vitesse.

J'ai supporté facilement une moyenne de 145 bpm (76 % Fcm) sur presque 16h l'année dernière et je me sens très à l'aise sous les 80 % Fcm aujourd'hui.

J'ai aussi tendance à avoir une bonne allure la première heure, parfois prolongée, puis la dérive cardiaque fait son office et de 5 à 15 bpm supplémentaires sont nécessaires pour maintenir la même vitesse. Parfois, en fin de sortie longue (7 à 10 heures d'efforts), une petite surcompensation intervient, réduisant le rythme cardiaque de 5 à 10 bpm à allure constante.

Je pense donc partir sur une moyenne de 140 +/- 5 bpm sur l'Ultra Trail du Verdon, avec un début prudent autour de 130 bpm jusqu'au premier ravitaillement : j'ai en effet remarqué que plus on démarre vite, plus le rythme cardiaque est ensuite élevé pour un même effort et cela favorisera aussi l'énergie lipidique.

La fin de course, c'est l'inconnu : soit j'aurais sous-évalué mes capacités et je pourrais accélérer et terminer autour de 150/160 bpm, soit je me serais surestimé et je ralentirais naturellement vers 130 bpm.

3 commentaires:

  1. Voilà un article très intéressant. Détaillé, étoffé et précis, ton témoignage me parle beaucoup. Moi qui n'arrive pas à chasser mon naturel "positive split", je suis maintenant convaincu de la nécessité de prendre mon cardio en course. Merci!

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  2. Hello !

    c'est moi le gars du beaufortain !
    et non il n'est pas judicieux de partir trop vite :) mais dans mon cas ce n'était pas voulu.
    j'ai grosso modo la même stratégie que toi: suivre le cardio, et couper l'effort quand c'est trop haut. partir doucement et rattraper le peloton au fur et à mesure.
    Sur cette course, je n'ai pas suivi le cardio, j'ai voulu faire le beau, en me croyant plus fort que le cardio, tant pis pour moi. je l'ai payé (cf le graphe du cardio, et la baisse de vitesse)

    enfin bon c'est comme ca qu'on apprend aussi, sur le grr (effort coupé à 75%) et la montagn'hard (effort coupé à 80% je crois), j'ai suivi le cardio et ça s'est bcp mieux passé

    je ne vois pas d'article sur ton trail du verdon et les pyrenees, comment ça s'est passé ?

    joli blog !

    ++
    petit_merou

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  3. Complètement d'accord avec vous. Le grand langage du fait le aux sensations ne fonctionne qu'en partie. D'ailleurs il n'est pas rare de voir des "aux sensations" abandonner tel ou tel trail ou ultra.
    Le Cardio ne ment pas et nous indique tout de suite si on va droit dans le mur.
    Pour ma part je reste autour de 78% de FC ( karvonen) et je monte si j'ai du jus à 1/2 ou 2/3 course.

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